top of page
Les lettres de noblesse du gin

Que cela soit pur, en tonic ou en cocktail, le gin séduit de plus en plus d’amateurs de boissons alcoolisées. Mais cette appellation très à la mode, et très générique, englobe un peu tout et n’importe quoi. Pour vous aider à y voir clair, nous sommes allés à la rencontre d’un distillateur, à la fois puriste et français, qui prône le bio et le local. Que demander de plus ? 

Résumons grossièrement l’idée : il suffit, pour vendre un gin distillé en Europe, que cela soit un spiritueux aromatisé aux baies de genévrier produit exclusivement par distillation d'un alcool éthylique d'origine agricole titrant au moins 96 % vol. Ça, c’est la définition. Autrement dit, il suffit de verser quelques gouttes d’arôme de genévrier dans un alcool neutre distillé à 96%, donc industriel, pour avoir le droit de l’appeler gin distillé. On croit rêver. Au contraire, ça ne vend pas vraiment du rêve, cette vague odeur de genièvre dans un alcool blanc et sans goût. L’alcool de base peut être produit à partir de n’importe quelle matière agricole, du grain comme le blé, l’orge ou le riz, mais aussi de la betterave, de la pomme de terre ou même des fruits, et doit être amené à un titrage alcoolique minimal de 96% vol, ce qui implique des colonnes de distillation que seule l’industrie peut avoir pour des raisons d’encombrement et de prix. Bref, comment, sur ces bases, proposer un gin bio, artisanal et bien fait, comme nous avons tous envie d’en goûter ? Il suffit par exemple de se rendre dans le nord de Toulouse, chez Straw Bale Distillery, la société de Gilles Victors pour le comprendre. Lancée en 2017, cette distillerie propose du pastis infusé, du gin distillé et, dès l’an prochain, du whisky et du rhum. Tout est bio, sourcé et principalement local. « Je suis un grand amateur de whisky depuis des années. Et quand j’ai décidé de me lancer dans l’aventure, entre 2015 et 2016, après de nombreux stages et formations dans les plus belles distilleries, j’ai vite compris que pour amortir les coûts liés au vieillissement du whisky, produire du gin dans ma distillerie pouvait être une bonne solution. À condition de le faire avec la même philosophie que ce que je voulais faire pour le whisky. » Et sa philosophie, Gilles l’a murie durant de longues années, lorsque, coutelier d’art, il décida de bâtir sa propre maison reposant sur un structure en bottes de paille enduites de chaux, un excellent isolant assurant une très bonne tenue au feu, et que l’on peut trouver facilement dans sa région. « L’écologie, le circuit court, mais aussi l’économie d’énergie et la lutte contre la gaspillage font partie de mes préoccupations depuis longtemps. D’ailleurs, la distillerie est elle-aussi en structure bottes de paille (d’où le nom Straw Bale, NDLR) et les alambics, produits selon mes dessins dans la région de Cognac, sont isolés pour réduire leur consommation d’énergie. J’ai même récemment changé mes bouteilles pour en avoir des plus légères, pour réduire l’empreinte carbone de mes envois à mes clients ». Bel esprit.

Tout a toutefois débuté par un grand moment de solitude, quand sûr de connaître tout du whisky, jeune et insouciant comme il le dit aujourd’hui, Gilles se retrouva avec d’autres amateurs, mais pas du genre à s’approvisionner dans les supermarchés. Et quand lui parle de ces whiskys industriels qui peuplent les rayons des hyper, et qu’il aime bien déguster avec ses copains, ses compères plus expérimentés lui suggèrent d’autres noms, moins connus, moins grand public. C’est la dégustation d’un Springbank 18 ans d’âge, les connaisseurs apprécierons, qui le fera basculer. « Ce jour là, j’ai compris que je n’y connaissais rien. Que pour apprécier le whisky, c’était mieux d’en connaitre la fabrication et l’histoire. J’ai surtout compris que je voulais faire mon propre whisky. En 2015, alors que j’exerce encore comme coutelier d’art, je décide de me former. Et comme un signe du destin, je suis pris en formation chez Springbank en Écosse. J’y ai appris l’importance des matières premières, le grain, mais aussi l’eau, les levures, et évidemment la distillation et le vieillissement. Je suis aussi allé me former dans d’autres distilleries en Écosse, et c’est d’ailleurs là que je découvre les gins Craft, bien loin de l’image du gin que j’avais. J’ai pris la même claque qu’avec le Springbank 18 ans. J’y a compris que pour une distillerie, le gin peut-être une très bonne solution pour commercialiser rapidement de bons produits pendant que le whisky vieillit. Je suis aussi allé en Charentes, dans le Cognac au Centre International des Spiritueux. Il y a aussi là-bas des savoir-faire exceptionnels, je pense surtout à M. Braud qui m’a beaucoup appris ». C’est en 2017 que nait Straw Bale Distillery, avec l’idée d’y faire ce que Gilles aime, du pastis, du gin et du whisky. Il y installe plusieurs alambics, un tout petit pour ses essais de conduite, un autre pour le whisky, un troisième pour le gin et depuis peu un quatrième pour le rhum, dont il va débuter l’élaboration à partir de mélasse bio qu’il importe de Cuba. Parce que ça voyage bien mieux que la canne à sucre ou que le jus de canne… et parce que la condition des travailleurs cubain est garantie, ce qui n’est pas le cas dans tous les pays des Caraïbes. « Je fais pour le rhum comme pour le whisky ou le gin, je ne veux travailler qu’avec des belles matières premières. » Justement, pour le gin, son alcool éthylique est à base de blé bio européen, distillé en Italie. « À partir de l’an prochain, il proviendra de France. Comme les céréales que j’utilise pour mon whisky d’ailleurs. Mes botaniques, baies de genièvres, de poivre timut, myrtilles, et tout ce que je fais infuser, sont toutes bio et produites le plus localement possible, même si parfois, comme pour la badiane que j’utilise dans mon pastis, je dois commander à l’étranger ». On l’aura compris, le gin de Gilles n’est pas qu’un alcool aromatisé au goût genièvre. Son idée, faire infuser lentement, le temps qu’il faut, toutes les botaniques qu’il souhaite utiliser dans ses gins, individuellement, dans l’alcool bio à 96°. Il suffit d’ouvrir une des dame-jeanne de son chai et d’en respirer le contenu pour comprendre ce que veut dire le mot extraction. Mais attention, mieux vaut ne pas goûter tant les arômes sont concentrés… et le titrage alcoolique élevé. Puis à Gilles de faire ses recettes, ajuster ses volumes, pour arriver au goût qu’il recherche, que cela soit pour son gin « classique » Knife Maker (coutelier en anglais), son Old Tom qui mélange kumquat, verveine et gingembre, son « Five o’Clock » à la myrtille ou son Titans aux saveurs tourbées. Et puis vient le temps de la distillation, pour laquelle il lui arrive d’ajouter quelques baies directement dans la cuve de l’alambic. Cela en complique la conduite, mais cela complexifie surtout les arômes. « Il existe beaucoup d’autres distillateurs de gin. Mais il y en a aussi qui s’appellent distillerie, sans avoir d’alambics » ajoute Gilles, un sourire au coin des lèvres. Après la distillation vient le temps de la réduction, pour amener le gin à un titrage alcoolique de 43 à 46°, là où comme dans le whisky, tout se passe. « Je prends environ six mois de cuve pour réduire mes gins, lentement, avec de l’eau de source. J’appelle cela l’affinage, qui prend un peu plus de temps pour mon gin Titans, qui vieillit en amphores pendant au moins un an ». C’est en 2018 que la distillerie Straw Bale sort ses premières bouteilles, de pastis puis de gin quelques mois plus tard. Gilles distille aussi pour deux autres marques françaises de gin, ce qui l’occupe bien. D’autant que depuis quelques années maintenant, il propose aussi deux à trois éditions limitées de gin maison, qu’il élabore avec son petit alambic de test et sa palette aromatique d’infusion. Avec, en parallèle, la production de son whisky, la raison de tout cela, qui sortira pour sa première édition l’an prochain après presque cinq années de vieillissement. « La part des anges est assez élevée ici comparée à l’Écosse, ça évolue un peu plus vite. Mais je goûte régulièrement les premiers esprits depuis 2018 et je pense qu’il leur faut encore un peu de temps (entretien réalisé en octobre 2022, NDLR). L’idée, que cela soit sur mes extractions, pour le pastis, le gin ou le whisky, c’est d’en obtenir le meilleur. Parfois ça prend beaucoup de temps ». C’est rassurant, dans le gin aussi il y a des esthètes. À leur santé.

bottom of page