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Patrick Roger

Artiste & chocolatier

Pour certains, c’est le meilleur chocolatier du monde. Pour d’autres, un sculpteur incroyable, qui a développé des techniques rares autour de cette matière thermosensible habituellement si compliquée à travailler. Enfin, il y en a aussi pour le voir en amoureux fou de la moto, dans ses expressions les plus extrêmes. Et si, tout simplement, Patrick Roger était un peu des trois à la fois, un artiste motard, qui sculpte le chocolat pour en faire des oeuvres magistrales, parfois en métal, et qui fabrique aussi dans son atelier de la banlieue parisienne de fabuleux bonbons en chocolat que la France s’arrache. Présentation.  

Certaines personnalités sont plus compliquées que d’autres à interviewer. Patrick Roger est de celles-là. Il dévie, tourne en rond, revient en arrière, s’arrête trente secondes sur une idée, car comme il dit : là « il y a un sujet », puis repart dans des explications qu’il est souvent le seul à comprendre. Celui qui s’est fait (re)connaître du grand public en sculptant des grands singes en chocolat n’est pas facile à suivre. Il faut dire que son parcours ne ressemble en rien à celui d’un autre chef cuisinier au col trois couleurs, depuis qu’il a remporté le titre de Meilleur Ouvrier de France chocolatier en 2000, ni à celui d’aucun autre artiste. Car quand on lui demande comment tout à commencé, comment lui, fils de boulangers du Loir-et-Cher, en total échec scolaire, est devenu l’un des chocolatiers les plus en vue du monde, et un artiste reconnu, il dit tout simplement : « c’est la moto, à cause de la moto ». Vous saisissez alors toute la difficulté de l’interview. Pour résumer son idée, c’est parce qu’il rêvait de s’acheter des deux roues motorisés qu’il a dû se mettre à travailler, lui qui se considère comme un cancre, et feignant de surcroit. « Je n’étais vraiment pas bon à l’école, nous n’avions pas d’argent, mon seul loisir était une fois par an d’aller voir avec mon père une course de motocross. Ça donnait vachement envie d’en faire, mais quand tu n’as pas un rond, tu marches à pieds ». La filière scolaire classique n’étant visiblement pas faite pour lui, Patrick bifurque dans l’apprentissage à quinze ans, rayon boulangerie-pâtisserie bien sûr, c’est plus pratique. Au bout de trois ans, à dix-huit ans, il monte à la capitale pour prendre un vrai travail, rémunéré cette fois. Mais même si ce n’est pas la catastrophe, le voilà recalé au pire échelon de la boulangerie à faire du chocolat. « Attention, à l’époque le chocolat, c’est l’industrie, pas ce que l’on connait aujourd’hui. Dans une cuisine, tu avais deux pâtissiers pour un cuisinier, deux boulangers pour un pâtissier… et tout en bas de l’échelle les chocolatiers. Parce que c’est répétitif, c’est une matière compliquée à maitriser, ça n’intéressait pas grand monde ». Et il va se passer un truc avec le chocolat. « Je dis toujours que je n’ai pas découvert le chocolat, c’est lui qui m’a découvert. Ou qui m’a permis de me découvrir. Je ne me considère pas comme talentueux. J’ai cette espèce de capacité à pouvoir refaire des tâches, de manière répétitives, avec une grande précision. Et c’est ce que je vais faire en cuisine, travailler, travailler encore avec précision pour maitriser cette matière thermo-sensible que beaucoup n’aiment pas modeler. » Il se découvre une température de peau sur les mains si basse qu’il ne fait pas fondre le chocolat quand il le touche. Ils seraient rares dans ce cas. Quelque chose d’étrange, mais qui lui permet de faire des choses que d’autres ne peuvent pas réaliser. À cette période, Patrick ne gagne pas beaucoup d’argent, mais il travaille d’arrache pieds, plus de 400 heures par mois dit-il. « Sept jours sur sept, 400 heures par mois, ça pique. C’est sur que tu n’as pas trop le temps de sortir. De toute manière, moi mon truc c’est de rouler à moto. Mes paies servaient à payer mon essence et mes pièces, mes pneus… Tourner en rond sur un circuit, ce n’est pas très loin de ce que je fais en cuisine avec le chocolat finalement, c’est une histoire de température (de pneus et de chocolat) et de temps, de chrono ». Drôle de manière de voir la chose. Pendant une dizaine d’années, il va accumuler les expériences et les petits boulots, travailler d’abord à Paris, puis un temps à Monaco, en vivant dans une chambre de bonne, puis quelques mois en Suisse, où l’un de ses souvenirs les plus marquants sera de s’y être fait retirer le permis de conduire, pour excès de vitesse, bien sûr en moto. Ça ne rigole pas de l’autre côté de la frontière. Au final, il aura été plus pâtissier que chocolatier sur ces années, à son grand regret. « En sortant de l’armée, je m’étais payé une moto sportive, avec laquelle je suis allé de boulot en boulot. Je prenais ce que je trouvais. J’ai même bossé pour un charcutier qui voulait ouvrir une boulangerie. » Il aime rouler, voyager, et ça ne le quittera jamais. C’est en 1997 qu’il décide de se lancer à son compte. Sa technique est sûre, il a déjà conçu des vitrines incroyables pour d’autres, mais maintenant c’est à son tour. Il ouvre sa propre boutique à Sceaux, que de chocolats, de bonbons et de sculptures. « Je jour de l’ouverture, je savais que j’allais en boucher un coin à pas mal de gens. Mais je n’avais aucune idée de si cela allait marcher. Et le soir même, j’ai en caisse plus d’argent que je n’en ai jamais gagné en un mois ». La légende est en marche, Patrick a trouvé sa voie et va pouvoir commencer sa collection de motos, des Ducati  de course entre autres, pour rouler tous les jours. En 2000, pour sa seconde participation, il remporte de col bleu blanc rouge de MOF chocolatier. C’est la période où il découvre la fonderie de Coubertin, un moyen pour lui de mouler ses oeuvres dans le métal pour les rendre immortelles. « Si j’avais moulé Harold, ma sculpture de planteur de cacao avec laquelle j’ai gagné le concours de MOF, je l’aurais encore, elle n’aurait pas fondu dans l’incendie ». Avec le succès, la maison Patrick Roger avait dû déménager en 2009, quittant le premier atelier de 40 m2 pour un superbe lieu de 700 m2, toujours à Sceaux, dans lequel Patrick peut produire avec ses équipes les milliers de bonbons en chocolat la journée, et lui créer ses sculpture majestueuses le soir. Quand vous avez pris l’habitude de travailler 14 à 18 heures par jour, il faut bien s’occuper. Sauf qu’en 2014, tout avait brûlé dans le nouvel atelier, en tout cas tout ce qui ne résistait pas aux flammes, les sculptures, les carnets de croquis, beaucoup trop de choses évidemment. « J’avais tout perdu. Au moins, maintenant, je moule tout, j’en fait des bronze, ou des sculptures en aluminium, même en acier ». Ce qu’il faut comprendre dans le travail de Patrick, c’est qu’il démarre toujours par un sculpture en chocolat. « Je sais trop bien comme le façonner, comment le maitriser, au dixième de degré près. Ensuite, je fais des moules en silicone sur lesquelles mes partenaires fondeurs vont travailler. Mais à chaque fois, tout part du chocolat, c’est vraiment la matière première ici ». C’est pareil pour la ligne de joaillerie qu’il vient de lancer, des bagues, des colliers, aux formes étonnantes, nées dans cette matière que l’on aime habituellement croquer ou laisser fondre dans la bouche. Pour certains c’est du plâtre, de la terre, du métal ou même de la pierre. Pour Patrick Roger, c’est du chocolat. Son inspiration, il la trouve dans son imagination parfois, dans ses voyages souvent. Comme quand il s’était rendu au Rwanda observer les grands singes en 2016… mais que faute d’avoir les bons papiers pour y circuler, il avait dû rester deux mois sur place, assigné à résidence dans son hôtel. Une péripétie de plus dans la vie compliquée du chocolatier. Pendant ces deux mois, ce sont ses équipes qui ont fait tourner la boutique à Sceaux, lui conservant juste le rôle de gouteur, recevant ses échantillons par transporteur. Car s’il ne moule pas tous les bonbons lui-même, ça n’est plus son rôle, il est -presque- le seul à en déterminer les goûts et à ajuster les mélanges. Presque car il est arrivé que sa compagne, Mathilde qui travaille avec lui, puisse parfois donner son avis. Mais il faut être un peu perché pour imaginer une sphère de chocolat fourrée d’une pâte d’amande, riz noir et saké, ou d’un caramel semi-liquide pomme et épinards. Mais c’est sublime. Patrick Roger mène aujourd’hui ses deux activités de front, développant de nouvelles saveurs et de nouvelles formes pour ses bonbons et sphères, tous livrés dans ces belles boîtes au couvercles verts, faits des meilleurs chocolats, avec ses propres amandes depuis qu’il a acheté quarante hectares de culture d’amandier vers Perpignan en 2014. Et se réservant le soir, après le départ de ses collaborateurs, le droit de continuer sa journée de travail, à inventer des formes qu’il va sculpter en chocolat, avant d’en faire des oeuvres en métal. Drôle de personnage.

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