La plus belle et la plus ancienne
De toutes les compétitions sportives, la Coupe de l’America est l’une des plus anciennes. Initiée pour l’exposition universelle de Londres de 1851, elle célèbre en ce moment sa trente-septième édition à Barcelone. Avec toujours cet esprits de duels entre gentlemen, mais avec des voiliers volants à plus de cent et, enfin, le retour d’une équipe française.
Un ballet, comme une chorégraphie à laquelle deux voiliers de plusieurs millions d’euros comme en lévitation au-dessus de l’eau vont participer, c’est à quoi fait penser le pré départ d’une régate de l’America’s Cup. Sauf que ce n’est pas de la danse, mais de la boxe, et que chaque manoeuvre, durant les deux minutes qui précèdent le vrai départ, sont autant de directs et d’uppercuts que s’envoient les barreurs des deux bateaux pour parvenir à franchir la ligne de départ en premier, en bonne position. À la fois élégant et violent, visible et sournois, ce ballet est une partie d’échecs qui débute avant même d’avoir commencée. Bienvenue sur le plan d’eau de Barcelone, Espagne. Nous sommes le 29 août, début de la trente-septième Coupe de l’América.
Pour beaucoup d’amateurs, la Coupe est le graal, la course ultime, l’une des plus vieilles compétitions sportives qui soit encore en activité, initiée il y a près de deux siècles (1851) pour permettre à de riches marins de s’opposer au travers de leurs clubs. Car si elle oppose des pays, cette année la Nouvelle-Zélande, les États-Unis d’Amérique, l’Angleterre, la Suisse, l’Italie et la France, c’est sous le pavillon de yacht clubs que chaque équipe navigue. Comme ce fut le cas, historiquement. S’il est un sport où les traditions prévalent, c’est bien la voile. Le vainqueur de l’édition précédente, nommé le « defender », décide des règles de la prochaine coupe avec celui que l’on appelle son challenger de référence, le premier à relever le défi. Un vrai sport de gentlemen. Pour cette nouvelle édition, le lieu choisi pour les oppositions est Barcelone, le type de voilier les AC75 (comme lors de la précédente coupe, remportée par Team New Zealand en 2021) et les règles ont quelques peu changé. Ainsi, cette année, le defender participe aux régates de la Louis Vuitton Cup qui normalement sert à définir le challenger ultime, celui qui ira défier le defender pour la coupe après s’être défait des autres prétendants lors des rounds Robins. Cela donnait un avantage aux challengers qui arrivaient chauds bouillants pour la finale, alors que le defender n’avait pu se jauger face à la concurrence. Pour 2024, c’est oublié, TMZ a pu, dès le 29 août, s’étalonner, comme les autres. Et cela valait la peine d’y être. Depuis quelques années, les bateaux volants, comme on appelle ces voiliers à foils, révolutionnent la voile. En sortant de l’eau, ils s’affranchissent de la trainée hydraulique et atteignent des performances impossibles jusqu’alors. Mais surtout, la connaissance des marins a tellement progressé qu’il leur est maintenant possible de virer sans retoucher l’eau, de rester en l’air durant toute une régate, juste en appui sur un foil et le safran, même quand l’adversaire vient vous couper la route ou le vent. Mais pour cela, l’expérience est primordiale, et l’annonce début 2023 d’un projet français a surpris tout le monde. Une Coupe, cela se prépare normalement sur trois à quatre ans, et pour être franc seules les équipes engagées depuis plusieurs campagnes réussissent à briller. Pourtant, Stéphane Kandler et Bruno Dubois, les initiateurs du projet Orient Express Racing Team, soutenus par Accor, Alpine, l’Oréal, KWay et Photomaton, ne sont pas venus jouer aux billes. « Nous avions plusieurs possibilités, comme d’engager des centaines d’ingénieurs et de designers d’autres équipes, pour dessiner et construire un bateau. Mais s’ils n’ont pas gagné ailleurs, pourquoi l’auraient-ils fait avec nous. Nous avons préféré acheter aux Néo-zélandais le design-package de leur dernier bateau, ce qui est autorisé par le règlement, pour le développer nous mêmes. C’était la seule solution pour être prêt à temps avec un vrai potentiel » explique Stéphane Kandler, qui avait déjà initié le projet français en America’s Cup en 2001. Il ne se trompait pas, car son bateau mené par Quentin Delapierre, le barreur du bateau français engagé en Sail GP (voir Followed 41), a remporté la première régate de la journée face aux Suisse d’Alinghi. Un-zéro. Les régates, que vous pouvez revoir sur internet (Youtube par exemple) sont des match-play, avec un pré départ, un départ et six bords avant l’arrivée, des oppositions en duel où chaque bateau veut gagner. Ce n’est pas une course contre la montre mais bien une partie d’échecs. En revanche, si les coups bas sont possibles, il faut quand même respecter des règles de priorité et ne jamais trop s’approcher de l’autre, des arbitres y veillants pour éviter les accidents. Au lieu des bouées classiques autour desquelles il faut virer, l’organisation a préféré des portes, formées de deux bouées que l’on peut effacer d’un côté ou de l’autre. « C’est une manière d’ouvrir le jeu, explique Quentin Delapierre. Comme ça, on peut choisir de partir d’un côté du plan d’eau ou de l’autre sans devoir obligatoirement suivre le bateau leader et rester dans son gaz. Ça laisse plus d’opportunités… » Et cela donne des matches très animés, avec des croisements de trajectoire à plus de 80 km/h à quelques dizaines de mètres. Avec parfois des résultats sans appel, le leader franchissant la porte d’arrivée avec plusieurs centaines de mètres d’avance, ou très serrés où la victoire ne se décide que dans le dernier bord pour une poignée de secondes. « Ces bateaux sont moins nerveux et techniques que les F50 que nous barrons en Sail GP (d’autres barreurs du Sail GP officient en Coupe de l’América, NDLR), mais ils vont encore plus vite. Il faut bien comprendre que le poids embarqué nous donne de la puissance grâce aux foils. Et là, on a six tonnes et demi. Mais que même si on a l’impression d’avoir du temps pour manoeuvrer, tout se joue à quelques millimètres de verrins pour les foils, le safran et les voiles, pour passer de 90 à 98% de performance. Et que chaque manoeuvre nous fait perdre du temps ». Pour creuser le sillon d’un sport propre, la Coupe de l’America a imposé cette année à chaque team qu'un des bateaux suiveurs soit propulsé par de l’hydrogène (et pas uniquement de l’essence), et que seule l’énergie nécessaire à la manipulation des foils soit embarquée dans des batteries à bord. Pour les voiles, ce sont quatre « cyclistes » qui pédalent à la demande pour générer de l’énergie et de la pression hydraulique durant la course. Ce sont les quatre têtes que l’on voit bouger en rythme sur les images d’hélicoptère. Et pour travailler à l’avenir de la voile, chaque team présente aussi une équipe féminine et une équipe jeune qui s’opposent sur des AC40 plus petits sur le plan d’eau catalan. « Nous sommes les seuls à les avoir totalement intégré à notre équipe, ajoute Stéphane Kandler. Une logique qui va avec notre projet global, avec une base à Lorient où nous allons mener à bien des projets S’il GP, America’s Cup, mais aussi Ultim et Offshore. Avec des femmes et des jeunes. Notre idée n’est pas de faire cette seule campagne, mais d’être aussi là pour la suivante ». On leur souhaite.