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Glenn Viel

60% de goût

30% de psychologie

et 10% de hasard

La majorité des amateurs de gastronomie ont découvert Glenn Viel en 2020, quand il a intégré le jury de Top Chef sur M6. Un émission dont la diffusion a débuté quelques semaines seulement après que le Guide Michelin lui attribue sa troisième étoile, au Restaurant l’Oustau de Baumanière. C’est là, aux Baux de Provence, que nous sommes allés rencontrer ce drôle de cuisinier.

Le gaillard est grand, même imposant avec sa mâchoire carrée et ses cheveux grisonnants tirés en arrière, et évidemment maintenus pour ne pas tomber dans les assiettes. On est cuisinier ou on ne l’est pas. En cuisine c’est toque ou casquette, cheveux courts ou attachés. Une tradition qui se perd parfois avec les jeunes générations, et que Glenn VIEL aurait pu ne pas respecter, lui qui fut le plus jeune chef triplement étoilé. C’était en 2020, à moins de quarante ans. Mais un fils de gendarme ne peut pas ignorer le règlement, ou au moins le bon sens. Pour mieux comprendre qui il est, et ce qu’il fait, lui qui dépoussière Baumanière depuis son arrivée au domaine en 2015 à la demande de son propriétaire Jean-André Charial, nous avons passé une journée avec lui, à échanger, sur son métier, sur la vie, la moto et la mer, puis à déguster sa cuisine. Les deux furent aussi agréables que passionnants. 

 

Entretien

Followed : Vous avez trois étoiles, une étoile verte, pas mal d’autres récompenses, pour votre menu végétarien par exemple, et une place devenue incontestable dans Top Chef sur M6. Qu’est ce qui vous motive encore ? 

 

Glenn VIEL : Je suis un gosse, je veux m’amuser, faire plein de choses. Et pour ce dont vous parlez, rien n’est acquis. Pour Top Chef, si vous saviez les coups de bâton que j’ai pris avant même la première émission. Moi, la production m’a appelé pour remplacer Michel Sarran. Pour beaucoup de gens, c’est moi qui l’ai poussé dehors, et certains fans ont été durs avec moi. Je n’ai pas pris cette décision, j’ai juste dit oui. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que je m’y amuse beaucoup. La mayonnaise a bien pris avec Paul (Pairet, NDLR) et Philippe (Etchebest, NDLR). On rigole bien, autant que parfois on ne peut même plus se regarder au risque de partir dans des fous rires compliqués à gérer quand il faut tourner. Et pour les étoiles, on sait combien il est difficile de les avoir, et possible de les perdre. En 2022, nous avons servi près de 20 000 couverts à Baumanière. Sachant que le service le plus long fait onze plats, imaginez le nombre d’assiettes où l’on peut louper un truc et se faire épingler. Je crois que pour accepter tout ça, il faut s’amuser et continuer à créer des choses pour séduire les gens. 

 

Fld : justement, comment faites vous pour continuer à surprendre vos clients avec des assiettes toujours plus créatives ? 

 

GV : depuis que je suis arrivée ici, à la demande de Monsieur Charial qui m’y a laissé carte blanche, j’essaie de travailler la psychologie. L’esprit joue tellement dans une dégustation, parce qu’il va partir sur une idée et influencer la perception du goût. Je dis toujours qu’une bonne assiette, c’est 60% de travail, 30 % de psychologie et 10% de chance. La psychologie, ce n’est pas ce qui va vous rendre le plat meilleur, mais c’est ce qui peut vous faire passer à côté. Et ça serait vraiment dommage de louper des saveurs de nos plats parce que votre esprit vous a emmené ailleurs. On travaille assez pour vous les faire apprécier.

 

Fld : c’est pour cela que vos intitulés de plats sont toujours très évasifs, parfois poétiques, mais jamais descriptifs ? 

 

GV : exactement. Si je vous dis que vous allez manger telle viande avec des fruits rouges, en précisant framboise et cassis par exemple, vous allez naturellement les chercher à la première bouchée. Et tant que vous ne les avez pas en bouche, vous allez continuer à les chercher, quitte à louper tout le reste. L’esprit est ainsi fait. Dans la même logique, nous avons travaillé à l’Oustau les températures basses, pas de cuisson mais de service. Nous délivrons les plats entre 27 et 47°C pour faire simple. Au-dessus, vous avez une sensation de chaleur, qui ne va pas vous mettre dans les bonnes conditions pour apprécier toutes les saveurs. 47°C, c’est 10°C au-dessus de la température corporelle. Pareil pour le froid; trop froid, vous ne profitez pas de tout. En fait, je ne parle pas de chaleur ou de fraicheur, je préfère employer le terme de température de confort. Quand on a chaud ou froid, on est dans l’inconfort, en tout cas notre esprit nous dit cela.

 

Fld : vous avez toute une variété de pains au restaurant, et proposez un accord mets et pains à vos clients. Pourquoi ? 

 

GV : l’accord mets et pains, c’est un peu comme pour les températures de services, ou les noms des plats. C’est pour profiter au mieux des saveurs que l’on a mis dans l’assiette. J’ai trop souvent vu dans des restaurants, le serveur venir avec sa corbeille de pains les proposer aux clients, des pains blancs, au levain, parfois aux olives ou au parmesan. Déjà, dans la majorité des cas, on choisit le dernier cité, c’est comme ça. Ou un pain aux olives, car il a l’air trop gourmand. Mais ça ne va pas toujours avec le plat à venir. Imaginez un pains aux olives noires sur un gibier accompagné de châtaignes, une horreur. On travaille avec les sommeliers pour que tout soit accordé, le pain aussi. Et en plus, on les fait nous même, comme le pain Baumanière, à partir de blé cultivé juste à côté, ou le pain au pain, dans lequel on incorpore 30% de farine produite à partir des pains de la veille. Tout cela pour que pain, vin et plat aillent ensemble, pour mettre le convive dans les bonnes conditions pour déguster.

 

Fld : et vos cailloux d’assaisonnement, qu’apportent-ils dans la dégustation? 

 

GV : là encore, on fait référence à la psychologie. Parce que j’ai la chance, grâce à Jean-André Charial qui met à notre disposition l’une des plus belles cuisines d’Europe (plus de 300 m2, NDLR), avec une brigade bien rodée de plus de trente personnes dont un chef avec qui je travaille depuis des années, d’avoir du temps pour aller en salle discuter avec les convives, comprendre ce qu’ils ont aimé et comment ils ont perçus ma cuisine. J’ai ainsi saisi pas mal de choses. Plusieurs fois, des clients m’ont dit qu’ils avaient juste trouvé que c’était un peu trop salé. Or je ne mets pas de sel dans mes assiettes, juste un peu de fleur de sel par dessus quand cela sert le goût, et encore rarement. Ce qu’ils prenaient pour du sel, c’était une réduction poussée dans une sauce, une concentration extrême du goût. J’ai eu l’idée d’en faire un assaisonnement. J’ai même breveté le truc. On fait réduire un ingrédient, énormément jusque’à un faire un bâton concentré, que l’on vient râper sur l’assiette avant de servir. On peut prendre cela pour du sel, mais c’est en fait la saveur ultra concentrée de l’aliment. Et j’ai joué avec ça, comme sur ma carotte 18 ou mon céleri 22. Je fais réduire une carotte six fois, puis je la fais infuser dans un jus de carottes réduit trois fois (on part d’un kg pour arriver à 333 grammes). Cela donne une carotte avec un goût incroyable, qui je vous l’assure, n’a pas besoin de sel. 

 

Fld : les goûts exacerbés, c’est ce que vous recherchez dans votre cuisine ? 

 

GV : c’est sûr, je n’aime pas les assiettes qui ne racontent rien. Pourtant, personnellement, je n’aime pas quand c’est trop épicé ou piquant. Mais on a tellement de choix entre l’acide, l’amer, le sucré ou le salé, pour exprimer quelque chose. Même avec le fade. Je ne pense pas que la cinquième saveur soit l’umami, cette sorte de mariage entre les quatre saveurs. Pour moi, c’est la fadeur, quand ça n’est ni acide ni amer, ni salé ni sucré. Ça n’est pas péjoratif la fadeur, si je prends des eaux par exemple, qui sont fades mais différentes, que l’on peut aimer ou pas. En Europe, la fadeur n’est pas appréciée, alors qu’au Japon elle l’est. Moi, j’en joue même dans un de mes plats, avec un rouget, cru non assaisonné, qui est fade mais avec du goût, que je mets aussi dans l’assiette sous une autre forme, façon rouille très puissante. Le contraste raconte un truc, c’est génial. 

 

Fld : comment vous viennent toutes ces idées ? Vous avez un mentor, des chefs qui vous inspirent ou vous ont inspiré ? 

 

GV : pas du tout. C’est assez drôle d’y penser, mais j’aime bien des gens comme Bernard Loiseau ou Pierre Gagnaire, mais pour leurs visions de la gastronomie, liée au plaisir, à l’idée de passer un bon moment, une sorte d’effervescence et d’enthousiasme quand ils en parlent. Mais je ne sais même pas ce qu’ils proposent ou proposaient. J’ai mangé dans mon premier étoilé à peu près quand j’ai eu la mienne. Tout simplement parce que je ne veux pas m’influencer, polluer mon esprit et ma créativité. J’ai peut-être plus a apprendre de mes échanges avec mes clients en salle pour imaginer mes prochains plats, sachant que j’ai des idées, la technique et les équipes pour délivrer. Je suis davantage admiratif des entrepreneurs, comme Jean-André Charial ici à Baumanière. Ce que lui et sa famille ont fait ici, il y a près de 80 ans, quand il n’y avait rien, c’est génial. Les Baux de Provence sont ce qu’ils sont grâce à Baumanière. Et je dois avouer que je pense parfois à avoir aussi mon lieu. Mais je suis un fou, comme un gamin, il ne faudrait pas que j’y soit seul, ça partirait en cacahuètes, j’ai trop d’idées et d’envies… je veux les faire rêver. 

 

Fld : un restaurant Glenn VIEL, c’est la suite logique de votre parcours ?

 

GV : j’ai un concept, un truc vraiment fort et inédit, donc j’y pense. Mais à la fois, je suis tellement bien ici. Nous verrons bien ce que nous réserve l’avenir. On prend parfois des virages qu’on ne pensait pas prendre. C’est la vie je crois. 

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