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Comme une bourgogne espagnole

Coincée entre le Pays Basque et la Navarre en Espagne, la région viticole de la Rioja fait rêver de plus en plus d’amateurs de grands vins. Marcos Eguren, célébré l’an dernier « vigneron de l’année » par le gourou britannique Tim Atkin, n’y est pas pour rien. Nous sommes allés à sa rencontre lors d’une après-midi particulièrement longue et succulente.

De la rose, de la violette, des fruits rouges, cassis, mûre ou encore myrtille, parfois du pruneau, de la figue ou du cuir, mais aussi de la mousse de sous-bois, de la cire d’abeille ou de l’amande, il n’est pas toujours facile d’exprimer tous les arômes ressentis au nez. Souvent, c’est une fois en bouche que cela devient plus évident. Sauf que là, Marcos Eguren s’était mis en tête de nous faire sentir de la terre. Autant vous dire que nous ne l’avons pas goûtée. L’homme est surprenant. En arrivant à la Vinedos de Paganos ou nous avions rendez-vous depuis quelques semaines, lui et son frère Miguel Angel nous ont accueilli par une seule question : combien de temps avez-vous à nous consacrer ? Généralement, c’est nous qui le demandons. Rassurés par notre disponibilité, Marcos nous avait alors invité à monter dans sa Porsche Cayenne hybride fraichement rechargée pour partir à la découverte des terroirs de la Rioja. Pas seulement pour voir les parcelles, mais pour les fouler, pour en gratter la terre à mains nues afin de l’évaluer et la comprendre. Et nous y voilà. « Vous sentez là, il y a de la vie, les odeurs nous disent tellement de choses sur ce qui se passe sous terre… » explique Marcos les yeux brillants et les mains sales. Nous sommes à quelques centaines de mètres de l’une des bodégas de la famille, dans une parcelle où l’âge moyen des vignes approche le centenaire. Pour être franc, l’odeur de cette terre est merveilleuse. « Vous voyez sur le sol, ces herbes fines et longues. Si elles sont là, c’est que nous ne traitons pas. Les désherbants qu’utilisent certains vignerons les éradiquent, pour ne laisser que les plantes à feuilles larges, comme la vigne. Ils ne tuent pas que des plantes, mais aussi tellement d’organismes vivant sous terre. Nous ne traitons pas, nous respectons les préceptes les plus évidents de la biodynamie et nos parcelles sont généralement au-dessus de celles des vignerons qui utilisent de la chimie. Ainsi, leurs produits ne finissent pas dans nos vignes par ruissellement » ajoute Marcos souriant. Puis d’aller gratter la terre voisine pour nous démontrer qu’il a raison. Car oui, ça ne sent pas bon. En fait, ça ne sent plus rien. Depuis plus de quatre générations, la famille Eguren fait du vin dans la région. L’arrière grand-père, le grand-père et le père de Marcos ont écrit de belles pages de la viticulture en Rioja. Avec, majoritairement, un vin baptisé le Murmuron élaboré en macération carbonique. Une méthode aussi utilisée dans le Beaujolais pour extraire le maximum d’arômes de fruits, mais donnant un vin légèrement pétillant (et de grande garde). « Quand j’ai débuté, nous avons assez vite compris avec mon frère qu’il nous fallait faire des vins de meilleure qualité pour nous démarquer et vendre à l’international, viser l’excellence à la manière des grands Bordeaux ou grands crus de Bourgogne, raconte Marcos. Nos vins étaient bien vendus en Espagne et dans la région. Mais pas trop ailleurs ». Pourtant, tous les ingrédients étaient réunis dans la Rioja depuis des décennies : des vallons, des sous-sols variés, du vent à certaines saisons pour sécher les raisins et éviter de traiter, les bordelais en rêvent, et un découpage des parcelles qui permet de facilement les différencier les unes des autres. « Et surtout, notre cépage local est exceptionnel, ajoute Marcos. Ici, nous ne travaillons que le Tempranillo, un raisin qui donne un vin peu tannique, mais riche en arômes et capable de très bien vieillir dans le temps. Vous verrez tout à l’heure. Je ne dis surtout pas qu’il est meilleur qu’un pinot noir que j’adore, ou qu’un merlot magnifique. Mais le Tempranillo ici est sans doute mieux que ces autres cépages que l’on viendrait planter chez nous… » Marcos sait de quoi il parle : sa première cuvée, il l’a faite par hasard en 1978. Il est encore à ses études d’oenologie à Madrid, mais son père doit accompagner sa mère malade à l’hôpital en plein milieu des vendanges. Or le paternel ne sait pas quand il va rentrer. L’étudiant revient en urgence pour superviser les manipulations et mettre en barriques. « Mais ma vraie première cuvée, c’est 1980, après mes stages de fin d’étude en France, à Bordeaux puis Montpellier. Cela fait quarante cinq ans que j’apprends de mes vignes, de mes raisins, comment ils évoluent, comment ils se comportent, comment ils vieillissent. Nous avons la chance que nos parents n’aient jamais arrêter d’acheter des parcelles dans la région, de respecter les pieds de vignes. Nous en avons encore qui ont été plantées avant la seconde guerre mondiale. Ces vignes sont magnifiques. » Son amour de la terre et de la vigne, Marcos Eguren le transmet dans ses vins. Une parcelle, un vin, comme il dit. Que du Tempranillo, mais cultivé sur des terrains différents, de vignes âgées ou très (très) âgées, avec de petits rendements, comparables aux plus grands crus de Bourgogne, ou carrément aux Sauternes bordelais, et vendangés au bon moment. Ici c’est entre octobre et début novembre, bien plus tard qu’en France, à cause des amplitudes thermiques importantes durant l’été et du vent qui retarde la maturité. Ensuite, c’est la patte de Marcos et ses équipes. Les grappes sont toutes éraflées, la quasi totalité des grandes cuvées sont vieillies en fûts de chêne neufs, mais très peu toastés, comprenez peu brûlés à l’intérieur, pour amener du tanin mais pas de goût de bois. Il va même plus loin dans le détail : pour un de ses vins, les baies de raisin sont même séparées et triées à la main, une à une, pour n’envoyer en fermentation que des raisins mûrs et de même taille, donc avec des peaux de même épaisseur pour maitriser les goûts. Un savoir-faire exceptionnel que le très reconnu critique anglais Tim Atkin vient de nommer « vigneron de l’année » en 2023. Aujourd’hui, l’entreprise familiale a bien grandi. Elle compte pas moins de cinq bodegas dans la Rioja, où sont produites à chaque fois des vins différents, auxquelles il faut dorénavant ajouter une sixième sur la commune de Toro en Castille. « Nous proposons au total trente cinq vins différents, dont cinq sur Toro. Mais vous, en France, vous n’en avez qu’une partie. Les vins d’entrée de gamme sont principalement vendus en Espagne, tels notre Murmuron que nous faisons encore, mais aussi les Protocolo, de toutes les couleurs. Pour l’export, aux USA principalement, mais aussi en France ou en Grande-Bretagne, nous vendons les San Vincente (45€, prix indicatif), El Bosque (100€), Amancio (105€), El Puntido (40€, 65€ en réserva plus âgé) et La Nieta (160€), des vins de garde fabuleux, mais aussi nettement plus chers » précise Marcos. Et c’est là que c’est devenu plus compliqué pour nous puisqu’il nous a été donné de tous les goûter. Contrairement à la terre, nous ne nous sommes pas contentés de sentir. Ils nous avaient prévenus : ça allait prendre du temps. C’était quoi déjà l’hôtel le plus proche ? 

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