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Sourire et service compris

Après avoir battu tous les records de précocité du tennis mondial, le jeune canadien Félix Auger Aliassime s’impose cette année parmi les meilleurs, avec un tableau de chasse qui ferait des envieux et une sixième place à l’ATP pour clore sa saison. Rencontre avec l’un des meilleurs serveurs du circuit pour qui le fair-play et le respect sont aussi très importants. 

Même s’il sourit très facilement, Félix Auger Aliassime est intimidant. Pas à cause de son énorme sac de raquettes qu’il trimballe ce jour-là, avant son entrainement pour sa première rencontre de finale de Coupe Davis en Espagne, mais par sa stature de numéro six mondial. Cette année, il a battu quasiment tous les membres du top dix, du numéro un mondial Alcaraz à l’ogre Nadal, en passant par le maître Djokovic, Tsitsipàs, Zverev ou Rublev : ça en impose. Comme son mètre quatre-vingt treize sous la toise, assorti de quatre-vingt huit kilos de muscles. Il semble loin le gamin du Québec qui rentrait dans les 800 premiers de l’ATP à quatorze ans, le joueur le plus jeune de l'histoire à se qualifier à un tournoi Challenger qui passa professionnel à seize ans. Celui qui débuta le tennis à quatre ans, sous la coupe de son père professeur de tennis dans le club local canadien, avant d’en devenir le président. Depuis trois ans, Félix gravitait dans le top vingt, passé de la 107e place à la 17e en 2019, puis commençant à toquer à la porte du top dix entre 2020 et 2021. Pour ses vingt-deux ans, le voilà sixième, avec pas moins de quatre titres cette année, dons trois compilés en trois semaines après l’été. Beaucoup d’observateurs disent de lui qu’il a les armes pour devenir numéro un mondial, que dans cette jeune génération qui déboule dans le top vingt mondial, les Alcaraz, Ruud, Auger-Aliassime, mais aussi Rune ou Sinner, Félix serait celui qui a le plus de potentiel. Nous l’avons rencontré à Malaga, en marge de la finale de Coupe Davis qu’il joue avec son équipe du Canada, pour mieux comprendre qui est ce grand métisse au sourire désarmant. En français et sans accent s’il vous plait.

Entretien

Followed : que s’est il passé après le huitième de finale face à Gilles Simon à Bercy. Pour ses adieux, le français que vous veniez de battre vous a véritablement encensé. À l’écouter, vous êtes quelqu’un de génial. Est-ce vrai ? 

FAA : je ne m’y attendais pas, mais il faut savoir que nous nous entendons très bien avec Gilles. Nous avons passé tellement de temps à discuter quand nous étions au Conseil des joueurs, à parler des tournois, mais aussi du monde du tennis, de tout. Gilles, on le surnomme le professeur, sans doute parce qu’il a tellement de choses à partager. Et là, ses mots, tellement prévenants et très gentils m’ont vraiment touché. Il faut quand même comprendre que même si on joue les uns contre les autres toute l’année, on se côtoie beaucoup en dehors des matches, sur le circuit. Ça peut créer des liens entre les joueurs.

Followed : nous l’avions aussi vu lors de la Laver Cup cette année, où Roger Federer faisait ses adieux. Nadal et les autres, dont vous, aviez l’air très marqués.

FAA : c’était un moment magique, de voir Roger quitter le circuit, lui qui a tant fait pour ce sport, parce que même si sa tête voulait encore, son corps lui refusait. C’est un champion incroyable, que j’avais rencontré pour la première fois alors que j’avais dix-sept ans. Cela m’avait marqué, il m’avait traité avec tellement de respect, presque comme son égal alors qu’il était le meilleur joueur du monde à ce moment et moi juste un gamin. Je l’avais rencontré ensuite une seule fois en tournoi, à Halle, sur le gazon, presque dans son jardin (il a gagné dix fois ce tournoi, NDLR). Je l’avais battu. D’ailleurs, ses enfants, à la Laver Cup justement en septembre dernier, m’ont demandé si c’était bien moi le Félix qui l’avait battu à Halle : c’était drôle. 

Followed : justement, parlons d’inspirations. Vous avez grandi en regardant le big four à la télévision (Federer, Nadal, Djokovic et Murray), et vous avez eu la chance de les affronter. Qui vous a inspiré dans le tennis ? 

FAA : évidemment Roger Federer, parce qu’il a joué un tennis tellement pur. Pour son comportement sur le court aussi, envers ses adversaires. Nadal aussi, pour sa persévérance, et son palmarès à Roland-Garros, ça force le respect. Parce que pour moi, tu mesures la grandeur d’un champion à la durée de sa carrière. C’est un marathon, pas un sprint. Mais plus jeune, ce sont surtout les soeurs Williams qui m’ont inspiré. Elles ont montré au gamin que j’étais que c’était possible, même pour moi. Je voyais mon père qui nous entraînait, ma soeur et moi, et je ne pouvais pas m’empêcher de penser à la famille Williams, à leur père qui a rêvé en grand et qui a eu deux filles numéro une mondiale, dans un sport où les joueurs de couleur n’étaient pas si nombreux. Jo-Wilfried Tsonga a eu aussi ce genre d’impact sur moi. Quand tu vois un métisse, comme moi, d’un père africain, comme moi, de mère française, la mienne est québécoise, qui est en demie finale de Grand Chelem, c’est génial. Là tu te dis que tout est possible. La diversité c’est quand même bien.

Followed : vous avez très bien débuté cette saison, avec une demie finale à l’Open d’Australie, perdue face à Medvedev, puis un titre à Rotterdam face à Tsitsipàs. Mais ensuite, vous plongez à la 13e place mondiale. Pourquoi ?

FAA : ma chute dans le classement était logique, parce que je n’ai pas passé le premier tour de l’US Open, où j’avais marqué de gros points l’année précédente en atteignant les demies. Je suis tombé sur un jeune anglais plein de talents, Jack Draper, et je n’ai pas très bien joué. Mais je savais que je finirai l’année dans le top dix, avec mon jeu qui se mettait bien en place et mes performances dans les autres tournois. En Australie, où j’ai une balle de match contre Medvedev (à l’époque numéro 2 mondial, NDLR), ou même à Roland-Garros où je pousse Nadal au cinquième set (la seule fois du tournoi pour l’espagnol, NDLR). La saison est longue, et pour moi l’objectif était de faire les Masters en fin d’année, donc d’être dans les huit meilleurs pour s’y qualifier. C’est passé. 

Followed : est-ce qu’après l’été, la Coupe Davis où vous battez le numéro un mondial Alcaraz, puis la Laver Cup où vous battez Djokovic, ont été des déclencheurs pour cette fin de saison en trombe ? 

FAA : après l’US Open, je suis rentré à la maison faire le point, voir avec mes entraineurs Frédéric Fontang et Tony Nadal ce qu’il fallait travailler pour tout remettre en place. C’était sans doute nécessaire. Après, je pense que oui, ces deux victoires m’ont juste rappelé que j’étais capable de battre les meilleurs. Ça fait du bien à la tête, quand mes coéquipiers en Coupe Davis, qui sont vraiment des amis, attendent de moi un petit miracle face au numéro un mondial, et que ça le fait. Pareil en Laver Cup face à Novak, je n’étais pas donné gagnant. Et après ça, j’ai aligné pas mal de victoires, avec trois titres consécutifs à Florence, Anvers puis Bâle. Juste avant le Master 1000 de Bercy.

Followed : où là, vous perdez en demie finale face au futur vainqueur, Holger Rune. Vous l’aviez battu la semaine d’avant, en finale à Bâle. Qu’est ce qui avait changé ? 

FAA : je suis arrivé un peu usé à Paris. J’ai même failli sortir dès le premier tour, où je m’en sors en trois sets. Après, j’avais bien enchainé, mais en demie, face à Holger, je n’ai jamais réussi à rentrer dans le match. Je me souviens que dès le premier point, il m’agresse complètement en retour de revers sur ma deuxième balle. Là je me dit que ça va être compliqué, qu’il est entré sur le terrain avec un intention tellement forte, avec tellement d’agressivité… que je ne m’en suis pas sorti. Peut-être étais je vraiment fatigué après les trois semaines non stop avant, plus mentalement que physiquement. Après, il faut reconnaitre que Holger était en feu, il a même battu Djokovic en finale après moi. 

Followed : vous avez initié en 2020 le projet #FAApointforchange, en partenariat avec BNP Paribas. Qu’est ce que c’est ? 

FAA : l’idée est très simple. Je voulais faire quelque chose qui a du sens, aider les jeunes pour qui, au Togo le pays d’origine de mon père, ce n’est pas toujours facile. On a cherché des moyens de les aider et finalement on participe à leur éducation en finançant un programme éducatif avec CARE, l’un des plus grands réseaux humanitaires mondiaux. Pour chaque point marqué en match officiel, je donne 5 $ et BNP triple la mise, soit 20 $ par point qui vont au programme eduChange. Fin 2020, nous étions à 4904 points, j’en ai gagné 4969 de plus l’an dernier, et cette année j’ai marqué 7006 points. Cela fait un beau total en trois ans (soit 337 580 $ à date, NDLR).   

Followed : vous finissez l’année à la sixième place ATP, votre meilleur classement. Quels sont vos objectifs pour la suite ? 

FAA : je fais les choses au fur et à mesure. Comme je le disais, on mesure la grandeur d’un champion sur la durée. J’ai prouvé des choses cette année, j’ai gagné des titres, mais pas encore de Master 1000 ou de Grand Chelem. Donc, je ne vais pas le cacher car c’est évident, c’est ce que je vise, quelle que soit la surface, puisque si tout le monde me pensait spécialiste des surfaces dures, j’ai aussi très bien joué sur gazon et sur l’ocre de Roland-Garros. Mais je préfère en gagner plusieurs sur la durée, qu’un seul demain. L’important, c’est de marquer le maximum de points. 

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