Éternel recommencement
Cela n’a pas été évident. Réussir à « attraper » Jules Gounon juste avant le début des saisons de courses automobiles, est une sorte de mission impossible. Le trentenaire originaire d’Ardèche sortait de quelques journées de test avec Mercedes AMG en Allemagne, avant d’en aligner trois autres sur le simulateur Alpine en Angleterre et profitait d’une fin de semaine tranquille à la maison, en Andorre. Juste avant de s’envoler pour le Qatar et le début de la saison d’endurance, catégorie WEC Hypercar. Il y avait une fenêtre. On l’aura compris, le garçon est bien occupé. Logique, il s’aligne cette année (encore) dans deux des catégories les plus disputées et réputées du sport auto, avec Mercedes AMG en GT dans le championnat allemand DTM et avec Alpine en Endurance dans le championnat du monde WEC. Avec un but ultime, remporter les deux courses de 24 heures qui manquent à son palmarès, le Mans en Hypercar et le Nürburgring en GT. Les deux autres, Daytona et Spa, il les a déjà accrochées, à chaque fois en GT. « D’ailleurs, maintenant pour gagner le général à Daytona, il faut être en Hypercar. Faudrait donc que je la gagne à nouveau, s’amuse Jules. C’est une sensation incroyable de remporter ces courses sur deux tours d’horloge pendant lesquelles il peut se passer tellement de choses ».
Mais avant d’en arriver là, Jules a quand même bien galéré. Les connaisseurs se rappellent de son nom. Jean-Marc, le père, fut un temps pilote de Formule 1, pour les écuries Minardi puis Simtek, en 1993 et 1994. La fin de l’ère bénie des Prost et Senna. Son propre père déjà, le grand-père de Jules, jouait aussi du cerceau dans des courses de côte. Une drôle de famille que les Gounon. Mais si l’on avait entendu parler de Jules Gounon il y a des années, c’était parce que lors d’une course de Porsche à Navara, le pilote s’était retrouvé posé sur un de ses concurrents juste après le départ. « Faire le journal télévisé pour ça, ça ne m’a pas vraiment aidé. Dans les faits, le pilote devant moi est parti en tête à queue et je n’ai pas pu l’éviter. Mais au lieu de le percuter, je lui suis monté dessus. L’image a sans doute fait le tour de la terre. Et moi j’étais mortifié ». À raison, l’épisode, en plus de lui laisser des séquelles physiques au dos, lui fait une si mauvaise pub que l’apprenti pilote ardéchois se retrouve sans volant quelques courses plus tard. Il faut dire que dans ces championnats, les budgets sont parfois durs à boucler. Et si les Gounon ne sont pas pauvres, pour reprendre les mots de Jules, ils ne roulent pas non plus sur l’or. « C’était la seconde fois que ma carrière s’arrêtait. Je n’avais pas encore eu l’occasion de devenir professionnel que je me retrouvais à rentrer au garage de mon père à laver des voitures pour 1200 € par mois. » En plus, atteint du syndrome des loges, Jules doit se faire opérer des jambes : immobilisation, prise de poids, tout y est. On est en 2015 et sa carrière est sur pause.
C’est en 2002, alors qu’il n’a que huit ans, que le petit Jules veut débuter sur quatre roues. Mais son père, qui sait à quel point ce genre de trajectoire peut être dure, pavée de désillusions diraient les habitués, refuse catégoriquement. Jules attendra d’avoir quinze ans pour faire ses premiers tours de roues en karting. Le gamin est doué, bon sang ne saurait mentir. L’année suivante, en 2011, il est sacré champion de France Rotax. Mais déjà, les budgets sont durs à boucler, si bien qu’au lieu de partir en monoplace il décide de faire une année de plus en kart, aidé par la marque Sodikart. La saison 2012 est bonne, mais pas suffisamment pour lui permettre de passer à l’étape supérieure. Si bien que sur la grille de sa dernière course de l’année, le championnat du monde quand même, son père vient lui asséner : « profite bien, c’est la dernière fois que tu pilotes en course. Ça s’arrête ce soir… ». Jules s’en souvient comme si c’était hier. Son père, qui ne l’a jamais épargné, ou même surprotégé, le met carrément en rage. Une poussée d’adrénaline dont il se sert en course pour se transcender et remporter la mise. Si bien qu’il débute en monoplace dans la foulée, en Formule 4. Il fera une saison honnête. Mais pas dans la bonne équipe ni avec la meilleure voiture, il brille mais ne gagne pas. On lui fait quand même faire des tests en Formule Renault au début de l’année suivante, mais pour les mêmes raisons Jules regarde davantage les échappements de ses concurrents que le drapeau à damiers. Au bout de deux courses cette année là, en 2014, il abandonne la saison. Et ses espoirs de devenir pilote professionnel. Retour au garage Fiat de papa… comme le paternel l’avait prédit. Dure réalité.
C’est son grand père, las de le voir se morfondre, qui casse sa tirelire pour lui offrir le droit de participer aux sélections Porsche. Jules les remporte, avec un volant en Porsche Cup à la clé. Le voilà relancé jusqu’à sa cascade de Navara. « Pour la seconde fois, et je n’ai que vingt ans, je me retrouve à devoir arrêter la course auto alors que je sais au fond de moi que je suis fait pour ça. »
Plusieurs mois après, alors qu’il accompagne son père sur des essais GT au Nürburgring, Jules rencontre un vieux monsieur bedonnant. « Il est à côté du stand Callaway où il y a cette Corvette sublime. Le genre de voiture que tu rêves de piloter. Et je discute avec ce monsieur sans savoir qui c’est ». C’est son père, les découvrant en grande conversation, qui le lui dit. Depuis une heure Jules échange avec Ernst Wörh, le team manager de l’équipe Corvette. Et allez savoir pourquoi, celui-ci lui propose de faire un essai. « Et là, au moment où je m’installe au volant, mon père qui me redit sa fameuse phrase… profite bien, tu ne vas pas la reconduire de sitôt. J’étais gonflé à bloc, j’ai mis taquet. Quand je rentre dans la pit-lane, tout le monde me regarde. En sortant, Ernst me dit qu’ils ont un problème et qu’il faut que l’on en parle au dîner. Un dîner étrange, avec mon père et moi, Ernst et un italien en lunettes de soleil qui ne décrochera pas un mot. J’ai fait le meilleur temps, ils me veulent, mais que je dois apporter 200 000 € pour boucler le budget. Somme que nous n’avons pas évidemment. Nous avions 60 000 €, de quoi faire deux courses en GT. Ils étaient ok. C’était reparti… pour deux courses ». Si Jules casse à la première, qui est aussi la première course de la voiture, il remporte la seconde. En pleurs sur le podium, en pensant que sa carrière s’arrête le lendemain faute de moyens, il lève la coupe avec l’italien qui lui avait donné sa chance. C’est Giovanni Ciccone, le co-fondateur de l’équipe avec M. Wöhr, et qui fête en même temps ses soixante ans. Jules croit lui avoir fait un beau cadeau. C’est le contraire, M. Ciccone lui dit en descendant du podium qu’il prolonge son contrat jusqu’à la fin de la saison. Jules Gounon devient pilote professionnel, sur une Corvette. Dès l’année suivante, en 2017, il remporte les 24 Heures de Spa avec Audi et le titre en ADAC GT Master avec Corvette, cumulant les deux programmes. Un signe sans doute. Depuis, le pilote français a couru pour les écuries officielles Corvette évidemment, Audi, mais aussi Bentley et Mercedes, remportant deux fois le titre mondial en GT World Challenge Europe Endurance. Fin 2023, Bruno Famin, le patron du WEC pour Alpine, lui demande de faire des essais en Endurance. Et c’est comme pilote officiel Mercedes en GT et de réserve avec Alpine en WEC que Jules débute la saison 2024. Il remplacera un pilote blessé dans l’Alpine et fera quatre courses, avec des résultats moyens. « L’an dernier, nous n’avions pas les armes pour gagner en WEC. En revanche, cette année, nous pouvons créer la surprise, face aux Ferrari, Toyota et Porsche. » Titulaire en bleu, il vise plus que jamais la victoire dans la Sarthe. Tout en espérant remporter un troisième titre en GT avec sa combinaison noire. On lui souhaite.
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